Une couverture de Captain America inspirée de l’affiche de King Kong ? Une couverture de Green Lantern reproduisant une case de Flash Gordon ? Une couverture d’Hugo Pratt pour la revue Sgt Kirk décalquant une photo à la une de Playboy ? Telles sont quelques-unes des découvertes que propose le douzième petit livre de la collection « Blow Book », publiée par l’association bruxelloise du même nom, dont la cheville ouvrière n’est autre que Philippe Capart, l’homme de la Crypte tonique.

« Blow Book », ce sont des livres caractérisés par un petit format (11,6 x 7,6) et une forte pagination (224 pages), à prix modique (5 €), disponibles via un réseau de distributeurs automatiques ou en ligne (www.blowbook.be). On y trouve de tout, du matériel ancien et du nouveau, et surtout des curiosités, mais toujours en respectant un principe de maquette intangible : une seule image par page.

La douxième livraison s’intitule donc Comics Swipes, du nom d’un groupe Facebook fondé en 2018 par l’historien américain de la BD Craig Yoe, une plateforme d’échange sur les « emprunts » commis par les artistes de bande dessinée – et accessoirement par le peintre Roy Lichtenstein, dont chacun sait qu’il prélevait ses images souche dans les comics. C’est d’ailleurs principalement de comics qu’il est question ici (comic books de super-héros, war comics, jungle comics et romance comics, plus un peu de comic strips) et l’on peut regretter que – à l’exception d’une case de Marc Sleen et d’une couverture de Paul Cuvelier décalquant toutes deux Jijé – il n’y ait guère d’exemples pris dans la BD francophone ni même européenne. Telle qu’elle est, cette petite compilation n’en est pas moins très instructive, notamment parce que, à examiner la liste des « plagiaires », on peut être surpris d’y trouver des maîtres aussi reconnus que Frank Frazetta, Jack Kirby, Alex Raymond ou Wally Wood, tous artistes virtuoses qui n’avaient pas besoin de copier pour imposer leur talent. Mais Daniel Pizzoli n’a-t-il pas montré que Moebius, peu suspect de ne pas être capable de dessiner n’importe quoi à main levée, ne dédaignait pas d’emprunter une attitude ou un effet d’éclairage à un document photographique ? Ce qui, visiblement, déclenche l’envie d’« emprunter » à un confrère, c’est presque toujours une posture corporelle, un geste, cadré d’une certaine façon, qui paraît incarner avec une efficacité insurpassable une émotion donnée ou une action particulière. On les reproduit parce qu’il ne serait pas possible de faire mieux.

Double page après double page, Comics Swipes présente, en vis-à-vis et sans commentaire, les images citées et leurs reprises. Un examen attentif conduit vite à la conclusion que tous les exemples ne ressortissent pas à l’emprunt ou au plagiat, certains relevant plutôt du clin d’œil, de l’hommage ou tout simplement d’une communauté d’inspiration.

Avant ce petit livre, il y en avait eu un autre, signé Bernard Joubert, qui, sous le titre Polyepoxy, rassemblait une quarantaine de reprises d’une même vignette, assurément la « case la plus copiée ». On la trouve dans Epoxy, l’album de Jean Van Hamme et Paul Cuvelier publié en 1968 par Éric Losfeld : un nu « admirablement composé, avec une torsion du corps, un raccourci de la cuisse audacieux et une position des bras expressive ». Citée d’abord dans plusieurs ouvrages historiques sur la BD (qui se plagiaient entre eux ?) en 1970-71, la case en question fut ensuite, pendant deux décennies, reproduite encore et encore par les dessinateurs des pockets érotiques qu’Elvifrance éditait en version française. Joubert les y a avait dénichées, écrivant d’abord un article pour le premier numéro de L’Éprouvette (L’Association, 2006), puis publiant en 2016 cette version considérablement étoffée – mais certainement pas exhaustive – sous l’égide de la Fondation Paul Cuvelier.

Il y aurait une autre catégorie de « plagiat » à considérer : celle des repreneurs qui, ayant à perpétuer les aventures de personnages immortalisés par Jacobs, Franquin ou quelque autre maître, se servent de leur œuvre comme d’un livre de modèles. Mais on verse alors dans le pastiche autorisé, institutionnalisé.