En mai 2006, l’association Mnémosyne (association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre), à la suite d’une journée d’études organisée le 1er octobre 2005, consacrait le quatrième numéro de son bulletin d’information à la bande dessinée, abordée comme un « nouveau chantier » ; on y lisait notamment la retranscription d’une table ronde à laquelle j’avais participé, aux côtés de Chantal Montellier, Jeanne Puchol et Perrine Rouillon.

Depuis, la féminisation de la profession est allée bon train, et les évidences d’une meilleure prise en compte de la contribution des femmes au neuvième art se sont multipliées. Cela passe par la désoccultation des créatrices du passé négligées par l’histoire officielle (je pense notamment à la redécouverte de l’œuvre de Nicolas Claveloux, ou à la thèse de Jessica Kohn – soutenue en 2018, et publiée en mai 2022 aux éditions de la Sorbonne sous le titre Dessiner des petits Mickeys –, qui a répertorié quarante-et-une femmes dessinatrices ayant publié dans les illustrés franco-belges entre 1945 et 1968) ; et par la place réservée aux créatrices par les instances de légitimation, tels que musées et festivals. Au Centre Pompidou, la BPI présente actuellement une exposition Posy Simmonds (précédemment honorée à la Maison de la BD de Blois et à la Ferme du Buisson), après avoir déjà accueilli Claire Bretécher en 2015 et Catherine Meurisse en 2020. Le festival d’Angoulême avait attribué son grand Prix à Florence Cestac en 2002 ; il a fallu attendre dix-sept années supplémentaires pour que cette consécration échoie de nouveau à une femme, Rumiko Takahashi (en 2019 donc), mais seulement trois ans avant le couronnement de Julie Doucet en 2022.

Le Grand Prix Töpffer, décerné annuellement à Genève, et qui couronne lui aussi l’ensemble d’une carrière, a fait beaucoup plus fort, en récompensant successivement Dominique Goblet (2020), Catherine Meurisse (2021), Posy Simmonds (2022) et Rutu Modan (2023).

On ne peut naturellement que se réjouir de tout cela, tout en observant que, si le FIBD a accompagné son ouverture aux mangas par la publication de très beaux catalogues dédiés à Mizuki, Tezuka, Matsumoto ou Tsuge, Takahashi, elle, n’a pas eu droit au sien. Et il faut bien constater que les études et autres documents de référence sur les femmes restent exceptionnellement peu nombreux dans la sphère francophone. Certes, Chantal Montellier (La Reconstitution, Actes Sud / L’An 2, 2014) et Trina Robbins (Last Girl Standing, Bliss éditions, 2022) ont publié leurs souvenirs, et Marion Fayolle s’est prêtée à l’exercice du livre d’entretiens (j’en ai rendu compte ici-même voici quelques jours), mais pour le reste, il faut s’en remettre aux efforts du seul spécialiste britannique Paul Gravett, qui nous a donné So british ! l’art de Posy Simmonds (Denoël Graphic, 2018) et récemment un Tove Jansson chez Flammarion, volume inaugural de la nouvelle collection « Les Illustrateurs ». On cherche toujours en vain le moindre travail consacré à une femme dans les collections spécialisées, qu’il s’agisse de « Mémoires vives » chez PLG ou d’« Iconotextes » aux Presses universitaires de Tours.

Il paraît qu’une monographie sur Claire Bretécher est en préparation chez Dargaud. De son côté, le groupe Les Bréchoises (constitué en 2020 pour développer la recherche sur les créatrices de bande dessinée), dans le prolongement du colloque « Faire corps ? Représentations et revendications des créatrices de bandes dessinées en Europe et dans les Amériques » qui a eu lieu en 2022) à Paris (BnF) et à Saint-Denis (Maison des Sciences de l’Homme), prépare, sous la direction de Marys Renné Hertiman et Camille de Singly, la publication, aux Presses du Réel, d’un ouvrage collectif annoncé pour le 2e trimestre 2024, qui aura pour titre Construire un matrimoine de la BD – Créations, mobilisations et transmissions des femmes dans le neuvième art, en Europe et en Amérique. Il contiendra notamment des contributions sur l’Espagnole Núria Pompeia, l’Américaine Roberta Gregory ou l’Autrichienne Ulli Lust, sans oublier de faire une place à la corporation des coloristes.

Le corpus, on le voit, reste mince.