Faisant suite à la réédition de plusieurs de ses livres et à la grande exposition rétrospective que lui a consacrée la Villa Arson, à Nice, en 2023/2024 (« Qui a peur de Chantal Montellier ? »), voici que paraît une copieuse monographie collective sur l’œuvre de la créatrice d’Andy Gang et de Julie Bristol. Dirigé par Vanina Géré, Camille de Brabant et Camille de Singly, Chantal Montellier Irréductible est un fort volume de 376 pages qui bénéficie du concours de divers contributeurs au nombre desquels je me compte. Il fait le bilan d’une carrière et le fait bien. On appréciera, en particulier, la reprise de plusieurs textes écrits sur elle entre 1978 et 2004, ainsi que l’exhumation de plusieurs récits peu connus et difficiles à trouver, qui sont ici republiés dans leur intégralité. Je suis également très heureux de voir que des albums tels que Les Rêves du fou et Blues se voient ici réhabilités. Ils avaient été plus ou moins désavoués par Montellier elle-même au motif que leur morbidité aurait porté préjudice à leur autrice ; or il me semble peu contestable qu’ils comptent parmi les sommets de son œuvre et doivent au contraire être revendiqués comme de grandes réussites.

« Nora », Blues, éditions Kesselring, 1979
Le ton général est hagiographique et féministe, Montellier est célébrée comme une artiste « incontournable », emblématique des « guerres culturelles en cours et à venir ». Sera-t-il jugé malvenu de rappeler que, bien avant que les milieux féministes ne découvrent Montellier et ne s’en fassent un totem, ce sont des hommes, presque exclusivement (la québécoise Mira Falardeau exceptée) qui se sont penchés sur son travail et en ont vanté la puissance, la pertinence ? En l’occurrence et pour ne citer que les principaux, Yves Lacroix, Philippe Sohet, Bruno Lecigne, Jean-Pierre Tamine, Philippe Marion et moi-même.
Je suis un peu surpris, je l’admets, en feuilletant l’index, de constater que mon nom en est absent, ce qui signifie qu’il n’est mentionné dans aucune des études qui reviennent en détail sur les faits d’armes de Chantal Montellier. Puis-je me permettre, là encore, quelques rappels ? J’étais signataire du manifeste « Navrant » publié dans Le Monde le 28 janvier 1985, en soutien de Montellier et ses consœurs ; comme rédacteur en chef des Cahiers de la bande dessinée, j’avais publié un dossier sur elle dans le n° 65 (sept.-oct. 1985), riche de huit contributions, ainsi que, dans d’autres numéros, des comptes-rendus de plusieurs de ses livres ; en 1994, j’ai collaboré au premier ouvrage critique qui lui a été consacré, I am a camera : Chantal Montellier auteur de bande dessinée, en accompagnement d’une exposition à l’espace Delphine Seyrig ; en octobre 1995, j’ai prononcé une conférence sur son travail à Washington, à l’université de Georgetown ; j’ai été membre du jury du prix Artémisia fondé par Chantal pendant plusieurs années ; comme éditeur, je lui ai d’abord commandé un récit de 19 pages (« Sa majesté la mouche ») pour l’ouvrage collectif Noire est la Terre (Autrement, 1996) puis, à l’An 2 et chez Actes Sud, j’ai procédé à une réédition d’Odile et les crocodiles avant d’accueillir deux nouvelles créations : L’Insoumise (avec /Marie-José Jaubert, 2013) et La Reconstitution (2015). C’est, il me semble, ce qui peut s’appeler un compagnonnage au long cours – lequel se poursuit avec le texte que j’ai livré pour le volume dont je parle ici ; sans compter que j’ai récemment bataillé avec mes collègues cocurateurs pour qu’elle ne soit pas absente de l’exposition « Bande dessinée, 1964-2024 » au Centre Pompidou.
Tout cela semble complètement effacé, passé sous silence (alors que des noms comme ceux d’Etienne Robial ou de Jean-Pierre Dionnet, qui furent aussi ses éditeurs, sont mentionnés d’abondance). Il y a de quoi se demander si c’est le fruit d’une décision concertée.
Mon cas personnel n’est certes pas très important. Mais que dire des erreurs que l’on trouve dans cette monographie, s’agissant d’un établissement que je connais bien, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image ? Page 9, les trois directrices d’ouvrage se demandent, pour s’en indigner, pourquoi Montellier « n’a pas été invitée à la fameuse “carte blanche” de la CIBDI » ? Et page 293, Vanina Géré assure qu’« il y a assez peu de planches de Montellier dans les collections publiques ; il y en a une à Angoulême [au musée de la Bande dessinée, s’entend, partie intégrante de la CIBDI], une autre à la BnF… » Faisons d’abord justice de cette dernière affirmation : le musée de la BD possède en réalité 9 planches de Montellier. Quant à la soi-disant « carte blanche », elle est si « fameuse » qu’en vérité… elle n’existe pas, n’a jamais existé. Aucune manifestation organisée par l’institution angoumoisine n’a porté ce nom. Il y a confusion, probablement, avec le concept de « Belle Saison » qui n’a connu en tout et pour tout que deux éditions, l’une dédiée à Alfred, l’autre à Edmond Baudoin, et n’a pas eu le temps de devenir fameuse.
Chantal Montellier éprouve du ressentiment à l’endroit de la CIBDI, estimant qu’elle n’y a pas été célébrée comme elle le mérite (que dirait-elle du festival, qui n’est curieusement pas incriminé ?). C’est son droit. Mais elle propage des informations erronées qui sont ici prises pour argent comptant et répétées sans vérification. Cela n’est pas très sérieux et méritait d’être rectifié, car les fake news, quand elles sont imprimées, passent facilement pour des vérités.
[ Vanina Géré, Camille de Brabant et Camille de Singly, Chantal Montellier Irréductible, Les Presses du Réel, 376 pages, 28 €. ISBN : 978-2-37896-591-4 ]

Détail de l’exposition à la Villa Arson.

