L’Ouvroir de Bande dessinée potentielle (Oubapo) est regrettablement en sommeil depuis quelques années. Le groupe ne se réunit plus et le dernier Oupus (n° 6) remonte à dix ans déjà. Bien entendu, cela ne signifie nullement que tel ou tel créateur, qu’il soit membre de l’Oubapo ou non (je songe notamment à Marc-Antoine Mathieu, récemment évoqué ici), ne puisse pas en poursuivre l’esprit en publiant de nouveaux ouvrages usant de telle(s) ou telle(s) contraintes. En 2023, Matt Madden a publié Ex-libris et Étienne Lécroart un nouveau recueil de ses travaux sous le titre L’Oulipo par la bande ; plus récemment, Lewis Trondheim s’est imposé une contrainte plus « molle » dans le découpage de l’album Green Witch Village, dessiné par Franck Biancarelli, celle de respecter le gabarit des Sunday pages d’antan.
Pour l’exposition sur le paysage dans la BD que j’ai montée à Chartres en 2024, commande avait été passée à trois Oubapiens, Lécroart, Andreas Kündig et Ibn al Rabin, pour concevoir trois dispositifs interactifs et ludiques, des puzzles aux contraintes chaque fois différentes (leur niveau de difficulté était tel qu’à ma connaissance, aucun visiteur n’a réussi à les reconstituer).
Le titre de l’ouvrage de Lécroart Oulipo par la bande – dont j’extrais le facétieux « Pape et pipeau puent » – peut intriguer : il semble paraphraser Oubapo. C’est qu’Étienne appartient aux deux ; il est le seul dessinateur, à ce jour, qui ait été coopté par les membres de l’Oulipo, qui était jusque-là un cénacle d’écrivains. Il prend, depuis 2012, une part des plus actives aux travaux de la « maison mère », et c’est bien dans ce contexte plus stimulant que sont nés les exercices rassemblés dans le livre en question.

Le même vient de livrer une contribution passionnante à l’ouvrage collectif Oulipo. Générations(Classiques Garnier). Intitulé « L’Oulipo et l’image », son texte dresse un inventaire de toutes les images dont les productions oulipiennes « regorgent ». Le dessinateur en fut le premier surpris : « … je pensais naïvement arriver en terrain quasi-vierge d’images, être une sorte de pionnier iconographique au sein de l’Oulipo ». Après avoir rappelé l’intérêt des fondateurs pour la peinture et le goût de quelques autres (Noël Arnaud, François Caradec ou Jacques Jouet) pour la bande dessinée et les arts plastiques, Lécroart recense les livres des membres du groupe qui ont été illustrés, les œuvres oulipiennes qui ont été créées en s’inspirant d’images existantes ou en les détournant, les schémas, figures, diagrammes et dessins nés de la main des Oulipiens, enfin les textes qui, en jouant de la calligraphie ou de la disposition sur la page, produisent des images.
Les visuels que mentionne Étienne ne sont pas reproduits dans son étude mais sont consultables en cliquant sur le lien https://www.oulipo.net/fr/loulipo-et-limage. Je recommande tout particulièrement la « BD avec placement de produits » (https://www.oulipo.net/sites/oulipo/files/attachment/74.jpg) dessinée par Étienne à partir d’une suggestion d’Hervé Le Tellier ; ce dernier a écrit des pseudo-critiques de livres qu’Etienne aurait faits, à partir desquelles l’intéressé en a dessiné des extraits a posteriori.
Son « Portrait en creux de Georges Perec » est bien connu. Il consiste en une page de texte décrivant l’écrivain et dessinant son portrait par les blancs du texte, entre les mots et en fin de lignes.

Enfin, le 23 juin 2025, à l’occasion d’une lecture intégrale de La Vie mode d’emploi, une centaine de lecteurs et lectrices madrilènes ont eu le privilège de découvrir une image inspirée à Lécroart par ce maître livre. Je ne suis pas autorisé à la montrer ici mais elle sera rendue publique dans quelque temps, sur un support encore à l’étude.
Et c’est ainsi que Lécroart est grand !
[ REIG Christophe, SCHAFFNER Alain, LAPPRAND Marc & RAYMOND Dominique (dir.), L’Oulipo. Générations, Classiques Garnier, 390 pages, 32 € (version brochée). ISBN : 978-2-406-18867-4 ]

