La revue The Drawer existe depuis 2011 et propose régulièrement des numéros thématiques donnant un aperçu sur la production d’un échantillon d’artistes contemporains qui ont choisi le dessin pour médium. Pas de rédactionnel, toute la place est laissée à la création. « Portraits », « Wall drawings », « Noir », « Amour » ou encore « Les Choses », tels sont quelques-uns des thèmes explorés dans les numéros précédents. Le dernier en date, qui porte le n° 25 (et qui est aussi le premier coédité et distribué par les éditions Klincksieck / Les Belles Lettres) est, pour la première fois, consacré à la bande dessinée.

Vingt-deux artistes, en majorité français, s’en partagent le sommaire. Si le numéro contient effectivement des pages de bande dessinée (sous les signatures de Pepa Prieto Puy, Paul Descamps, Anthony Huchette, Louise Aleksiejew ou encore Elène Usdin, la dernière citée étant sans doute la plus connue des amateurs puisque, outre quelques collaborations à Métal hurlant, elle a signé l’album René.e aux bois dormants, chez Sarbacane, qui fut très remarqué), il fait aussi la part belle à des illustrateurs et plasticiens « dont les travaux évoquent dans leur facture ou leur façon de faire récit la culture BD qui les a inspirés », ainsi que l’énonce le préambule. Une sélection pour le moins discutable, où se déploie notamment un imaginaire fantastico-érotique qui, à mon sens, renvoie davantage au syncrétisme de la pop culture contemporaine et à la faveur dont y jouissent la fantasy et le manga, qu’à un dialogue fécond avec les composants de la bande dessinée comme art.

De ce numéro, je retiendrai comme particulièrement réussies les 6 pages signées Yvan Guillo, alias Samplerman. Né en 1971, il ne s’agit plus tout à fait d’un jeune artiste mais beaucoup l’ont découvert en 2019, lorsqu’il a reçu le prix de l’École Européenne Supérieure de l’Image et bénéficié, à ce titre, d’une belle exposition rétrospective. Spécialiste du collage, il compose des images à partir de prélèvements effectués dans les pages de vieux comics qu’il trouve au sein des collections numérisées de certaines bibliothèques. Comme le soulignait son éditeur, Benoît Preteseille, qui a publié son album Anatomie narrative à l’enseigne des éditions Ion en 2021, Samplerman, lui, questionne « les mécanismes de la bande dessinée elle-même : les compositions, l’usage des gouttières, le rapport au trait et à l’abstraction, etc. »

Samplerman, "Ce que c'est que la bande dessinée", page 3

Samplerman, « Ce que c’est que la bande dessinée », 2024, page 3 – © The Drawer et Klicksieck et l’auteur

Sa contribution à The Drawer s’ouvre d’ailleurs sur la question-prétexte : « Qui peut prétendre savoir ce que c’est que la bande dessinée ? », posée par une sorte de canard enveloppé dans un linceul. Un homme nu, barbu, très probablement prélevé dans une planche chronophotographique, prétend, deux pages plus loin, être ce sachant et nous invite à le suivre pour découvrir ce qu’il en est de cet art. Naturellement aucune réponse ne sera donnée, le propos étant constamment interrompu, parasité, dénoncé comme sans objet, de la même manière que les images, elles aussi, sont déconstruites, perturbées, envahies par toutes sortes de motifs qui surgissent d’on ne sait où, comme animés d’une vie propre. Le chaos qui en résulte est visuellement très séduisant, et ce qui s’annonçait comme une dissertation se métamorphose en pur spectacle.