On ne dispose pas encore d’une histoire internationale des romance comics – ou bandes dessinées sentimentales – mais le Britannique David Roach (à la fois dessinateur et chercheur) y a apporté une contribution significative en signant l’anthologie A Very British Affair. The best of classic romance comics. Ce gros livre cartonné, paru début 2023 chez Rebellion, à Oxford, rassemble plus de cinquante histoires courtes initialement parues dans les années 1950 à 1970.

Le premier romance comic publié sur le sol du Royaume-Uni fut Love Story Library, lancé en septembre 1952 par Amalgamated Press (qui deviendra Fleetway Publications en 1959, société dont le nom est resté davantage associé aux comics de guerre). Chaque numéro proposait, au format poche, un récit unique, en 64 pages, dont les protagonistes étaient des jeunes hommes et femmes de vingt ou trente ans. Suivirent True Life en 1954 et surtout, l’année suivante, le magazine Marilyn, dont les scénarios avaient pour principal pourvoyeur Peter O’Donnell, le futur créateur de Modesty Blaise. Puis vinrent encore Mirabelle, Glamour, Marty, Famous Romance Library (où les BD étaient des adaptations de romans sentimentaux) et enfin, en 1957, Valentine. Dans ce dernier titre, la scénariste principale était Jenny Butterworth (femme du rédacteur en chef), qui, de 1964 à 1977, allait écrire le très délectable comic strip Tiffany Jones, illustré par Pat Tourret, pour le Daily Sketch et le Daily Mail. La majorité des histoires sélectionnées par Roach proviennent de Mirabelle ou de Valentine. Elles comptent rarement plus de cinq ou six pages.

Couverture de « Mirabelle » n° 1, 10 septembre 1956

Dans le dossier que la revue 9e Art consacra, en son n° 6 (janvier 2001), à « La bande dessinée des filles », Mike Kidson avait écrit un article sur « Cinquante ans d’illustrés anglais pour les filles ». Les titres qu’il évoquait (tels Girl, Bunty, Princess ou June) ciblaient un public de fillettes ou d’adolescentes. Il n’avait pas un mot pour les romance comics mentionnés ci-dessus, qui s’adressaient, eux, principalement aux étudiantes et aux jeunes femmes. L’introduction à l’anthologie A Very British Affair constitue donc un parfait complément à son étude, qui nous permet d’avoir une vue d’ensemble de la production de bandes dessinées d’outre-Manche à destination du lectorat féminin.

La liste des dessinateurs représentés dans l’ouvrage fait apparaître que l’essentiel de cette production était dû à des dessinateurs étrangers, parmi lesquels figurent plus d’un nom de réputation internationale. Des Italiens (Guido Buzzelli, Ferdinando Tacconi, Antonio Toldo…) et, majoritairement, des Espagnols, parmi lesquels Jesús Blasco, José Bielsa, Esteban Maroto, Manfred Sommer et Victor de la Fuente, pour ne citer que les plus connus en France. D’artiste français, je n’ai repéré que Daniel Billon (1927-2004), qui fut un collaborateur de Pilote et signa une reprise de Barbarella, sur scénario de Jean-Claude Forest. La prédominance des Espagnols s’explique par le fait que nombre de ces histoires étaient commandées à l’agence barcelonaise Selecciones Ilustradas, fondée par Josep Toutain, qui procurait aux artistes affiliés des travaux destinés à des publications étrangères. Il est du reste vraisemblable que c’est l’intérêt que David Roach porte à la bande dessinée espagnole (dont témoignent plusieurs de ses livres précédents, notamment Masters of Spanish Comic Art en 2017) qui l’a conduit à s’intéresser aux romance comics.

Blasco et Butterworth dans Valentine

« I like it », planche 3, texte J. Butterworth, dessin J. Blasco, paru dans « Valentine » le 29/02/1964

Quel que soit l’incontestable savoir-faire des artistes mis à contribution, et en dépit de scripts quelquefois malicieux et empreints d’ironie, il serait faux de prétendre que ces travaux de commande, ces récits produits à la chaîne par des dessinateurs mercenaires, témoignent d’une grande élévation artistique ou d’un véritable investissement personnel. Ils n’en constituent pas moins un corpus digne d’intérêt, dont les ressorts narratifs et l’esthétique particulière (rapport à la mode, importance des gros plans, croisement avec des effets venus du 7e Art ou d’autres genres, telles – c’est inattendu – les BD d’épouvante) mériteraient une étude plus approfondie.