En janvier 2023, pour marquer le demi-siècle d’existence du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, les éditions PLG faisaient paraître un livre intitulé Le 50e. Sous la plume de Philippe Tomblaine s’y déroulait, année après année, la chronique des vicissitudes traversées par la manifestation, avec son cortège d’anecdotes, son programme d’expositions, son palmarès toujours renouvelés. Il s’agissait d’un livre avant tout factuel, dans la continuité de celui déjà paru en 1993, Le Grand 20e, d’Hervé Cannet.

Les questions qui fâchent, les polémiques dont le festival n’a cessé d’être accompagné n’avaient pas droit de cité dans ces pages. Et pour cause : les deux Philippe (Morin, l’éditeur, et Tomblaine, l’auteur) avaient pour partenaire l’Association FIBD (dont, d’ailleurs, Tomblaine est le vice-Président) qui a ouvert ses archives et qui a veillé à ce que la manifestation échappât aux critiques. Point de liberté d’expression quand il s’agit de grand-messe du Neuvième Art : seule devait s’exprimer la version certifiée, ripolinée, autorisée ! D’ailleurs le livre était introduit par un mot du maire d’Angoulême et un autre du Président de la Charente, histoire de bien marquer son caractère officiel. Et Delphine Groux, fille de l’un des fondateurs et gardienne du temple, a personnellement veillé à ce qu’un certain nombre de sujets gênants ne fussent pas abordés (ce qui n’a pas empêché l’ouvrage d’annoncer, au titre de la programmation de 2023, une certaine exposition Bastien Vivès qui, comme l’on sait, allait être annulée sous la pression des circonstances).

Apprenant cela, de mauvais esprits nommés Philippe Capart et Nicolas Finet ont aussitôt entrepris de mener l’enquête afin de proposer une version différente : ANGOULEME BD, une contre-histoire (1974-2024) paraîtra à la fin de ce mois, pour la 51e édition, à la 5e Couche, maison bruxelloise réputée pour ses coups d’éclat (qu’il s’agisse, par exemple, des faux Journaux de Judith Forest ou de Katz, détournement du Maus de Spiegelman). Les deux compères ont rencontré et interrogé de nombreuses personnes associées, à un titre ou un autre, à l’histoire du festival, dont Jean-Michel Boucheron, l’ancien maire, qui a droit à un chapitre entier – alors que dans le Tomblaine on apprenait incidemment, page 80, que ledit Boucheron avait laissé derrière lui « un gouffre financier (39,5 millions d’euros actuels) », en tout et pour tout trois lignes pour un séisme qui secoua profondément et durablement le Landerneau charentais.

Je fais moi aussi partie des témoins interrogés. On m’a donné à relire mes propos, mais seulement au moment où, le livre étant sous presse, il n’était plus question d’y rien modifier. Me sentant en confiance avec Philippe Capart venu passer une après-midi chez moi, j’ai parlé sans filtre ni langue de bois. N’occupant plus aucune fonction institutionnelle, j’estime d’ailleurs avoir toute ma liberté de parole. Reste que mes propos n’ont fait l’objet d’aucune récriture, ils sont restitués dans le style libre et relâché de la conversation orale. Nul doute qu’ils déplairont à certains – et d’abord aux élus locaux pour lesquels je ne cache pas mon peu d’estime. Si j’avais pu le faire, j’aurais donné une tournure plus policée à mes déclarations, mais sur le fond, naturellement, je persiste, assume et signe.

(Au moment où j’écris ce billet, je ne connais de cette Contre-Histoire que ce qui relève de ma participation, et ne porte donc aucun jugement sur le livre en tant que tel.)