La bande dessinée jeunesse, un temps éclipsée par l’essor de la BD « adulte », s’est considérablement régénérée depuis le début du siècle. Et même si des succès considérables sont hébergés chez d’autres éditeurs (Titeuf chez Glénat, Les Légendaires chez Delcourt, etc.), une collection s’est indubitablement imposée comme centrale dans ce secteur de la création, c’est « BD Kids ». Créée en 2011 par Bayard et Milan, puis exploitée par le seul premier cité, elle vise prioritairement la tranche des 6-8 ans et se distingue par son petit format (16 x 20 cm). Une collection sœur, « mini BD Kids », destinée aux plus jeunes, a vu le jour en 2016.

Avec une cinquantaine de nouveautés par ans, des présentoirs dédiés, des séries phare comme Ariol, Anatole Latuile, Tom-Tom et Nana, Avni ou encore Émile et Margot, « BD Kids » a une visibilité considérable et s’est imposé comme un label prescripteur. Tom-Tom et Nana existait antérieurement au lancement de la collection, laquelle a aussi intégré des séries qui existaient déjà en grand format, comme Marion Duval ou Zélie et compagnie. Elle est alimentée en nouveautés par la galaxie J’aime lire : le mensuel éponyme + son « cousin » J’aime lire Max qui s’adresse plutôt aux 9-13 ans et les quatre hors-série annuels J’aime Lire BD.

Si quelques séries consistent en gags en une ou deux pages (ainsi Toto, de Franck Girard et Serge Bloch), la plupart sont constituées d’histoires comptant une dizaine de pages, format imposé par la prépublication dans le mensuel. Un recueil d’Ariol compte ainsi 12 histoires différentes (soit un an de prépublication), ce qui l’offre, soit à une lecture d’une traite, soit à une lecture fractionnée (une histoire chaque soir avant le coucher, par exemple). On notera aussi que la participation à la collection d’auteurs réputés pour d’autres productions, pas nécessairement destinées au jeune public, comme Emmanuel Guibert (scénariste d’Ariol), Lewis Trondheim (voir Chihuahua, avec Obion et Nob, et la toute récente Patty télépathe), Marion Montaigne (La Vie des très bêtes), Karine Bernadou (Tilda sur les toits, avec Ced) ou Éric Corbeyran (scénariste de Zélie et compagnie).

Sur le site de la collection (https://www.bd-kids.com), on peut apprécier le nombre et la diversité des personnages proposés. Il est assez frappant que les héroïnes soient très supérieures en nombre aux héros masculins : de Adélidélo, de Marie-Agnès Gaudrat et Fred Benaglia, à Betty Boum (Capucine Lewalle et Chiara Baglioni) en passant par Lulu ou Les Pipelettes, l’éventail est très large et on y retrouve tous les emplois traditionnels de la littérature conçue pour les petites filles : une princesse (Grâce, de Marc Dubuisson et Isabelle Maroger), une princesse (le jour) et justicière (la nuit : Tilda sur les toits, de Ced et Bernadou), une petite sorcière (Zouk, de Serge Bloch et Nicolas Hubesch), une cavalière (Charlotte et son cheval, de Nathalie Dargent et Colonel Moutarde), une enquêtrice (Les Enquêtes de Félicie Poucet, de Anne Didier et Martin Desbat) et même une espionne en herbe, la petite Romarine dans L’Espionne, d’Églantine Ceulemens d’après les romans de Marie-Aude Murail. Les passionnées d’animaux liront Le Zoo de Zazie, de Pierre Oertel, Galatée et Clotka, les férues de mythologie se délecteront d’Athéna, de Sibylline, Bagères et Voyelle.

On le voit, « BD Kids » ratisse large et cherche à saturer le champ de l’imaginaire enfantin. La collection comprend aussi des séries focalisées sur des duos fille/garçon (Tom-Tom et Nana bien sûr, mais aussi Émile et Margot : un prince et une princesse de 6 et 7 ans qui vivent dans un château au milieu de la forêt, sous la surveillance d’une gouvernante sévère ; Kevin et Kate, autres frère et sœur, dont les aventures sont en anglais sous-titré, ou encore Les Super Super, à savoir Super Aglaé et Super Juju), sur des héros animaliers (Glouton, la terreur des glaces, le chien aventurier Polo, ou Avni, de Romain Pujol et Vincent Caut : un animal bleu non identifié qui peut déformer son corps à volonté) et sur des groupes : La Cantoche, de Nob, ou Les Inséparables, de Nathalie Dargent et Yannick Thomé, mettent l’accent sur le collectif.

Si quelques titres abordent des thèmes tels que la différence ou la famille recomposée, ou peuvent se revendiquer d’une perspective féministe, l’on doit tout de même remarquer que la collection se tient globalement à l’écart des sujets de société que d’autres éditeurs jeunesse se font au contraire un devoir d’explorer. « BD Kids », c’est de la bande dessinée de divertissement, où la vie quotidienne est pimentée de bêtises, de blagues, d’inventions, de rencontres avec des monstres. L’ambition est de délasser, de faire rire ou rêver, et les auteurs et autrices s’en acquittent avec un irréprochable professionnalisme.

Ariol, son instituteur et ses copains de classe. Dessin de Marc Boutavant.

Ariol se distingue toutefois en travaillant davantage sur les sentiments, le ressenti des enfants, et ce n’est sans doute pas pour rien que cette série bat aujourd’hui des records, mérités, de popularité. J’en ai été le témoin : quand un jeune fan de la série rencontre l’un ou l’autre des « papas » d’Ariol, il peut fondre en larme, submergé par l’émotion – et cela dit tout de la place que le petit âne bleu occupe dans son cœur.